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Pénuries de généralistes dans les communes wallonnes?
27/11/2017 - 10:32
Tribune Libre

Denise Deliège - Prof. émérite - Université catholique de Louvain 
Dr. Etienne De Clercq - Vice-Président du Centre d’information sur les - Professions médicales
   
De nombreuses rumeurs font état de pénuries de médecins en Wallonie. Est-ce grave Docteur ? Avez-vous un remède Docteur ?
 
L’accessibilité de soins de première ligne est importante pour le confort des patients, surtout pour les personnes âgées et celles dépourvues de voiture personnelle. En recensant les généralistes actifs en cabinet selon le lieu de celui-ci, on obtient une vue exhaustive de cette accessibilité. Le Centre d’Information sur les professions médicales (CIPMP UCL) en a fait un diagnostic pour la Wallonie.
 
La Wallonie compte en 2015 plus de 6000 « généralistes » (y compris non agréés et en formation), dont près 4000 cabinets de médecine générale en équivalents personnes (EP = 3947), soit 11 pour 10000 habitants.
 
La province de Namur est la mieux lotie, suivie par Liège (respectivement 12 et 11,5/10000). Ce sommet de la hiérarchie est logique, car l'on connait l'attractivité des régions dotées d'une université. Le Hainaut se situe en queue de peloton (10).
 
Le Luxembourg est désavantagé par sa faible densité de population : 63 habitants au km², à comparer à plus de 350 au Brabant wallon et au Hainaut ! Pourtant, cette province n'est pas mal lotie, vu qu'elle dispose en moyenne de 11,2 généralistes par 10 000 habitants, ce qui dépasse légèrement la moyenne wallonne. 
On soupçonne que la proximité du Grand-Duché favorise les implantations près de la frontière. En outre, la pyramide d'âges y est nettement plus favorable : "seuls" 54% des généralistes tenant cabinet dépassent 50 ans, contre 63% en Wallonie.
 

 
Les écarts se creusent évidemment quand on compare les communes. Entre Lontzen et Tinlot (<2) et les 11 communes dotées de plus de 16 cabinets par 10 000 habitants, la marge est apparemment énorme.  Mais il faut relativiser : la plupart des communes peu médicalisées comptent peu d'habitants et ceux-ci peuvent évidemment faire appel à des généralistes de communes proches. Et Tinlot compte des spécialistes en son sein.
 
Les pénuries 
 
Quel est le critère de pénurie ? Il n’y a ni nombre d’or de densité médicale, ni seuil incontestable de pénurie. Tout est question de contexte. Le seuil doit évoluer avec le temps.  Ainsi, quand la Belgique ne comptait que 4 médecins pour 10000 habitants en 1880, un seuil de 9 eut été incongru, alors qu’au contraire, l’article en question criait déjà à la pléthore menaçante.
 
Si l’on fixe actuellement le seuil de pénurie à 9 pour 10000 habitants comme le fait l’AVIQ , l'ensemble de la Wallonie abrite 100 communes en pénurie de généralistes agréés, mais seulement 82 si on tient compte aussi de cabinets de généralistes en formation et "non agréés". Ces derniers sont des médecins souvent âgés qui n'ont pas rempli en son temps les formalités pour obtenir le label d'agréés. Ils peuvent néanmoins exercer, moyennant des prestations moins bien remboursées par l'assurance maladie. Ils contribuent ainsi à l’offre de soins.
 
Ces 82 communes représentent près d'un tiers des communes wallonnes et abritent près de 856 000 habitants, soit près d'un quart de la population wallonne. Une large part de la région wallonne est donc affectée, même si l'accessibilité ne se limite pas aux frontières de la commune, notamment quand on dispose d'une voiture.
 
Comme on pouvait s'y attendre, ces communes en pénurie sont majoritairement moins densément peuplées, celles-ci étant moins attractives : pour 60% d’entre elles, la densité au km² est inférieure à la moyenne wallonne (213) ; elle peut même descendre sous le seuil de 50 habitants au km² (Fauvillers, Chiny).
 
La répartition géographique des médecins correspond-elle à celle des besoins en soins ? Ces derniers dépendent non seulement du nombre d’habitants, mais aussi de leur état de santé.  A ce niveau très fin, seul un indicateur très synthétique est disponible : la part de la population âgée (65 ans ou plus) en constitue une approximation utile. Il faut bien constater qu’en Wallonie, il n’y aucune corrélation entre cet indicateur et la densité de généralistes ; ceci se vérifie tant pour les communes que pour les arrondissements et se remarque en Flandre aussi.
 
Plus inquiétant, la pyramide d'âges des médecins est déséquilibrée. C’est déjà vrai pour l'ensemble de la Wallonie : 63% des cabinets de généralistes sont tenus par des médecins d’au moins 50 ans. Pour vingt-trois communes, tous leurs généralistes sont déjà dans la zone critique des 50 ans et plus ; heureusement, cela ne concerne que 3% de la population wallonne.
 
Les communes en pénurie sont encore plus à risque de subir des retraites de leurs généralistes dans les 15 ans à venir : pour deux tiers d'entre elles, la part de ces généralistes âgés dépasse la moyenne wallonne.
 
Ces résultats diffèrent quelque peu de ceux publiés récemment par l'AVIQ. Ils recensent davantage de cabinets de généralistes (+14%) mais moins de communes en pénurie : 37 de moins soit 30%. Cet écart est normal vu les modes d'approche différents : l'AVIQ se base sur les médecins généralistes agréés à partir de données des cercles de médecins généralistes (et signale 10% de manquants), tandis que nos données recensent l'ensemble des cabinets identifiés à l'aide de diverses sources, y compris les généralistes non agréés, s’ils ont un cabinet car, dans ce cas, ils participent à l’offre médicale de proximité.
 
Là où notre approche rejoint les constats de l’AVIQ, c'est sur le dénombrement de communes en pénurie grave (< 5 généralistes par 10 000 habitants). Nous en comptons neuf, ce qui ne touche heureusement que 1.4% de la population. La plupart sont de petites entités (2000 à 6000 habitant) ; l'une atteint pourtant près de 9000 habitants (Orp-Jauche) et une autre près de 11000 (Aisleau-Presles).
 
Toutes sauf une présentent une densité d'habitants inférieure à la moyenne wallonne (213/km²) et quatre d'entre elles tombent sous le seuil de 75/km². Sept de ces neuf communes risquent de nombreuses retraites dans les années à venir ; pour cinq d'entre elles, tous leurs généralistes ont plus de 50 ans.
 
Mais il existe aussi des communes très bien loties : elles bénéficient de plus de 16 cabinets de généralistes par 10 000 habitants. Le record est détenu par Tellin et Incourt (20/10000). Parmi ces communes plusieurs aussi comptent peu d'habitants, tel Martelange (moins de 2000).
 
La position favorable de Martelange peut être liée à une localisation stratégique, à la lisière du Grand-Duché. D'autres communes bien dotées ont souvent bénéficié de l'arrivée de jeunes médecins : pour huit sur onze d’entre elles, la part de généralistes âgés est inférieure à la moyenne wallonne.
 
Conclusion
 
Près d'un quart de la population wallonne vit dans une commune en pénurie de généralistes. Et pour deux tiers d'entre elles, la part des généralistes de plus de 50 ans dépasse 63%. Sauf apport de jeunes, la situation pourrait donc empirer dans les années qui viennent. Cependant, un espoir naît pour le proche avenir, car un nombre important de médecins francophones seront bientôt diplômés ; notamment, deux promotions de médecins obtiendront leur diplôme en 2018. Hélas, aucune solution n’a encore été trouvée pour assurer des places de stage en nombre suffisant leur permettant d’accéder à la spécialisation, notamment en médecine générale ! Par contre, dans les années ’20 une crise pourrait survenir, vu le nombre très important de retraites attendues, combiné avec un numerus clausus drastique ; en effet, il faudra alors compenser les numéros INAMI qui seront bientôt accordés au-delà des quotas officiels.
 
Mais la situation de chaque commune peut évoluer d’un jour à l’autre. Dans les petites entités, Il suffit d’un jeune qui s’installe ou d’un départ inopiné, pour que la densité soit fort modifiée. Les analyses par commune doivent donc toujours être confrontées à la situation du moment sur le terrain.
 
Des mesures générales ont été édictées pour attirer les jeunes : prime d’installation, intervention dans les charges salariales d’un employé ou dans le coût du secrétariat. En vue d’attirer les jeunes dans les zones en pénurie, les communes peuvent compléter ces mesures en aménageant des lieux favorisant le travail en équipe, en vue notamment de briser la solitude. Un complément de revenus peut aussi être envisagé. Dans les zones en pénurie, il est également indispensable de mettre en place des solutions pour assurer la garde médicale tout en permettant aux médecins de préserver une certaine qualité de vie.
 
1 Coup d'œil sur la situation du Corps médical en Belgique, Annales de la Société médico chirurgicale de Liège, 1891, p. 451
 

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