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L’examen d’entrée n’est pas un choix acceptable pour choisir les futurs médecins (Tribune Libre)
17/09/2016 - 09:03
Photo: Shutterstock

Depuis que la nouvelle crise ‘INAMI’ a éclaté, nous sommes à nouveau noyés sous un flot d’interventions émotionnelles, dépourvues d’aucun fondement scientifique, prônant l’instauration d’un examen d’entrée. On peut certes comprendre les soucis de responsables académiques confrontés à de graves difficultés de gestion facultaire, qui se résignent à un tel système dans un contexte de définancement de l’enseignement supérieur. Que d’autres y voient l’opportunité d’améliorer la qualité de la formation de nos futurs médecins nous semble beaucoup plus étonnant, et pour tout dire injustifié : nous attendons toujours les arguments scientifiques capables de nous convaincre de la viabilité, de l’efficacité et de la justice d’un tel système.

Rappelons que c’est d’un concours d’entrée qu’il est question, et pas seulement d’un examen d’entrée, étant donné la contrainte que le gouvernement fédéral fait peser sur le nombre d’attestations finalement accessibles. Ainsi, la réussite d’une propédeutique ne pourra, en rien, donner l’accès aux études de médecine puisqu’il serait impossible de contrôler le nombre d’étudiants accédant au cursus. Nous sommes dubitatifs quant à l’argument « social » de l’année propédeutique. L’étudiant qui a échoué au concours d’entrée s’inscrirait-il réellement dans une année préparatoire qui risque d’être considérée comme une année de seconde main ? De plus, l’idée d’une propédeutique comme moyen d’accéder aux études ne semble également pas avoir ses preuves dans certains pays l’ayant adoptée puisque celle-ci n’impacterait pas les résultats à un examen d’entrée1.

D’autre part, nous sommes en droit de nous poser fondamentalement la question de l’utilité d’une sélection dans un contexte de pénurie importante et objectivée tant en médecine générale que dans certaines spécialités (pédopsychiatrie, anesthésiologie, médecine d’urgence, gériatrie (en contexte de vieillissement), etc.)2.

Sur le plan des évidences scientifiques,

1.      La plupart des études scientifiques menées dans notre système d’enseignement supérieur et dans certains systèmes d’enseignement étrangers de la médecine ont démontré l’impossibilité de prédire à l’entrée la réussite ou non des étudiants dans leur cursus3-4. En effet, la réussite est une dynamique complexe qui intègre des notions de travail, de persévérance, de remise à niveau et surtout d’adaptation à ce nouvel environnement qu’est l’enseignement supérieur4. Croire qu’un système puisse prédire dès l’entrée d’un étudiant s’il est « apte » ou « inapte » est une naïveté fondée sur une vision ‘darwinienne’ de la réussite4, qui fait de l’étudiant un être dont l’échec ou la réussite est prédéterminée, indépendamment de sa capacité d’adaptation.

2.      Diverses études internationales ont clairement démontré que la réussite à un examen d’entrée basée sur des sciences fondamentales ne prédisait pas la réussite finale de l’étudiant et ses compétences cliniques5-7 ; la compétence du futur médecin serait davantage prédite par sa capacité de communication avec les patients, son empathie, sa motivation et son envie d’aider autrui, bien plus que par sa maîtrise initiale en sciences de base8-9. Il a également été démontré que les étudiants ayant un niveau raisonnable en sciences de base (mais niveau suffisant à la réussite du cursus) mais dotés de ces aptitudes socio-psychologiques indispensables pour devenir un bon médecin, seraient plus facilement découragés et exclus du cursus au profit d’étudiants moins sensibles à leur environnement et dont les compétences médicales seraient, au final, plus discutables10. Quant à la réussite dans les domaines cliniques, elle n’est pas corrélée aux notes obtenues dans les cours scientifiques fondamentaux5 : plus de 75% des étudiants ayant obtenu les meilleurs grades dans les évaluations cliniques ne s’étaient pas distingués dans les cours de sciences fondamentales11.

3.      Une enquête descriptive a également rapporté qu’environ 50% des étudiants qui ont réussi leur première année sans encombre ont échoué au test indicatif (qu’ils avaient pourtant préparé et passé consciencieusement) organisé dans la Fédération Wallonie Bruxelles qui évalue le niveau en sciences au début du cursus12.

Nous plaidons résolument pour une approche moins arbitraire, plus scientifique, de cette question, conformément aux exigences de rigueur si généreusement mises en avant dans le milieu académique – à commencer par la prise en compte de la littérature scientifique.

Nous plaidons aussi pour que les mesures organisant l’enseignement de la médecine soient pensées de manière à promouvoir la qualité et l’accessibilité des soins dont doit bénéficier l’ensemble de la population. Cette préoccupation est étrangère aux propositions qui déferlent :

les systèmes de sélection à l’entrée des études ont démontré leur incapacité à combiner justice et efficacité pour déterminer qui seront nos futurs praticiens.

L’instauration d’un filtre à l’entrée des études de médecine sous le prétexte d’une surpopulation étudiante constituerait un dangereux précédent dans notre système universitaire : il scellerait la défaite d’une politique que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (PS et CDH) veut socialement juste, succombant aux dictats du gouvernement de droite. Nous persistons à défendre l’idée que ce qui fait la qualité de notre enseignement, c'est le fait que chacun puisse avoir une chance réelle de s'y développer, de s'y épanouir, quel que soit le milieu d'où il vient et quelle que soit l'école où il a été inscrit. L'émancipation sociale à travers l'enseignement est un droit que nous devons conserver et défendre jusqu'au bout.

Mateo ALALUF (Professeur), Pierre DEBUSSCHERE (Médecin, Professeur), Carlos CRESPO (Président du MARX), Pierre GILLIS (Professeur), Marc LABIE (Professeur), Jérôme LECHIEN (Médecin assistant), Paul LINKOWSKI (Médecin, Professeur)

1 : Groves, 2007

2 : Rapport SBMU, 2008.

3 : McGaghie, 1990;

4 : Lambert, 2001,

5 : Reede JY, 1999;

6 : Donnon T, 2007;

7 : Violato C, 2005

8 : Rolph, 1978;

9 : Strayhorn, 1989)

10 : Barr, 2010

11 : Rhode, 1974

12 : Le test d’entrée ne prédit pas la réussite. Journal Lesoir, 4 avril 2015.